Février 2024
Découvrez la lettre sur le millésime 2023
La climatologie : un cocktail très défavorable
Sur tous les terroirs du département, le décrochage en termes de précipitations est sans appel.
Les chiffres sont alarmants :
Contrairement au millésime 2022 qui avait bénéficié de bonnes pluies en mars, le millésime suivant s’inscrit dans une sècheresse chronique. Les orages du 12 septembre 2023 qui ont touché bon nombre de terroirs, améliorent faussement la valeur des précipitations car leur impact sur le volume de récolte a été négligeable à l’échelon départemental. Ils auront au contraire localement fortement diminué le volume de récolte lorsqu’ils ont été accompagnés de grêle.
D’autres facteurs impactent le fonctionnement de la vigne. Parmi eux, les jours de forte chaleur où les températures maximales dépassent les 30°C. Ils sont sur les deux derniers millésimes en forte augmentation.
En diminution en 2023 par rapport à 2022, c’est leur répartition durant le cycle végétatif qui a été préjudiciable à la vigne avec notamment un pic de chaleur, souvent à plus de 40°C, survenu le 23 août, pendant la maturation.
Des vignes très tôt en situation de détresse :
Bien avant la floraison, des parcelles, surtout en bordure littorale et en plaine, affichaient un développement végétatif insuffisant. Les feuilles les plus jeunes recouvraient l’apex, signe d’un arrêt de croissance proche, avec des pousses de 20 à 30 cm et des inflorescences bien visibles.
La question de la vendange en vert s’est posée très tôt. Certains vignerons ont attendu après la fleur dans l’espoir de précipitations. Mais il a fallu se résoudre malgré tout à des interventions coûteuses en main d’œuvre, ciblées à de très jeunes vignes, pour préserver la pérennité des ceps.
Malheureusement, l’importance des surfaces
concernées dans certaines zones rendait l’intervention
illusoire à grande échelle.
Certains ceps sont morts par manque d’eau. De
grandes incertitudes demeurent sur la pérennité de
parcelles dans bon nombre de situations.
Des situations très contrastées : du jamais vu
Le contraste est saisissant entre zones géographiques, le cordon littoral et la plaine, souffrant davantage que les hauts cantons ou le secteur de Banyuls et Collioure. Il l’est également au stade intra-parcellaire, la vigne se comportant mieux dans les zones plus filtrantes que dans les zones argileuses.
Les parcelles enherbées ont le plus souvent « décroché » rapidement.
Il en a été de même pour les parcelles de Grenache noir retaillées, sur le secteur de Maury. Cette pratique connue pour améliorer le taux de nouaison a effectivement pour conséquence de diminuer la vigueur des ceps et donc le développement végétatif. Elle doit être mise en suspens en cas de millésimes très déficitaires en eau.
A l’inverse, l’âge des parcelles a été, comme déjà constaté par le passé, un élément important d’amélioration du comportement face au déficit hydrique.
Une alimentation des ceps et des baies chaotiques :
Le rationnement hydrique a impacté le bon développement des baies dès la phase de division cellulaire. Le manque d’eau s’intensifiant, c’est également le grandissement des cellules de la baie qui a été pénalisé. C’est pourquoi, le poids des baies s’est avéré lors des suivis de maturation particulièrement faible.
Egalement très dépendant de l’alimentation hydrique, le potassium s’est moins accumulé dans les baies. Les teneurs en cet élément ont été souvent plus faibles dans les moûts rendant l’impact de l’acidification plus difficile à anticiper.
Le stress hydrique a :
– diminué la surface foliaire exposée à partir de
laquelle les sucres sont synthétisés,
– parfois bloqué la maturation des polyphénols des
pellicules et des pépins.
Des corrections indispensables très en amont lors des vinifications comme pour les millésimes passés
Les mêmes causes appellent les mêmes types d’interventions :
– Des acidités faibles, des températures élevées à la vendange ont augmenté le potentiel oxydatif des moûts qu’il a fallu maîtrisé par des acidifications précoces,
– La réfrigération de la vendange ou la récolte aux heures les moins chaudes ont également contribué à la préservation du potentiel aromatique et des couleurs des moûts blancs et rosés,
– La petite taille des baies a conduit à une sélection stricte des jus de blanc et rosés pour éviter l’apparition de tanins
Et finalement de bonnes surprises
Il s’agit des vins blancs et rosés, plutôt aromatiques, avec des couleurs dans les standards demandés et finalement bien équilibrés grâce des interventions très en amont. Les vins rouges, moins concentrés qu’en 2022, affichent en général des titres alcoométriques volumiques moins élevés.
La conduite des macérations des raisins noirs issus de vignes en situation de stress a nécessité une gestion tout en douceur pour éviter la diffusion de tanins secs et rapeux, issus de pellicules et de pépins incomplètement murs.
Une production encore en baisse :
Pour la première fois, la production des Pyrénées Orientales va se situer sous les 500 000hl.
Pour rappel, c’est la récolte de 1934 qui a été la plus abondante de l’histoire du département.
La production de 2023 nous ramène au niveau des récoltes de 1860 à 1869.
Et maintenant que faire ?
L’eau reste un levier indispensable d’ajustement du
rendement.
Les 300 mm de précipitations tombés par endroit
d’octobre 2023 à septembre 2024 ne suffisent pas à
assurer de façon pérenne des productions de l’ordre
de 30hl/ha.
Il faut donc concernant l’irrigation :
– mobiliser toutes les ressources en eau disponibles
avant qu’elles ne terminent dans la mer,
– cibler les apports aux moments les plus critiques du
cycle végétatif, le débourrement, la floraison et la
véraison.
A noter que seulement 5% du vignoble départemental
est irrigué contre 20% dans l’Aude et 26% dans
l’Hérault (source SRISET).
L’adaptation des techniques culturales demeure un levier efficace à la portée de tous les vignerons :
– La suppression de toutes les adventices pendant le cycle végétatif de la vigne,
– L’ajustement du nombre de bourgeon à la taille pour diminuer la surface foliaire et diminuer la transpiration de la plante,
– La suppression des pousses inutiles, gourmands, sagattes et entre-coeurs,
– La suspension des façons culturales, mêmes superficielles, en période de fortes sécheresse et température. Dans ces conditions extrêmes, le vieil adage, un binage vaut deux arrosages, ne devra pas être vérifié,
– Des essais sont en cours sur l’intérêt de l’épandage au sol de produits permettant de stocker l’eau, du type Biochar,
– Pour limiter la transpiration des plantes, la pulvérisation de produits de protection peut s’envisager mais avec des résultats mitigés,
La solution ombrières orientables constitue une réponse, dans le cadre des IGP, à la limitation de l’évapotranspiration. Elle limite également les pics de températures au niveau des feuilles et des baies. Dans le cadre des nouvelles plantations, le choix des densités doit être repensé. Les peuplements à l’hectare des vignobles sous climat sec sont faibles, 2000 à 2500 ceps à l’hectare. Il faudrait donc tendre vers les densités de plantation utilisées autrefois mais quid de la mécanisation et des cahiers des charges des AOC.
Conclusion
La viticulture départementale est confrontée à une situation inédite. Certes en fouillant dans les annales, on retrouve bien une sécheresse de grande ampleur qui a sévi dans les années 20 mais avec des températures inférieures à celles que nous connaissons aujourd’hui. Tous les leviers techniques, tels que ceux évoqués plus haut, doivent être mis en œuvre pour limiter les effets sur la vigne.
Notre viticulture accuse un retard très important en termes de surfaces irriguées au regard des surfaces des départements voisins. Le dossier de l’eau est devenu un dossier prioritaire. Il en va de la survie de la viticulture catalane.