2022 : un millésime charnière.

Découvrez la lettre du millésime 2022.

photo de pieds de vigne sur galets

Décembre 2022

La climatologie

Après de bonnes précipitations hivernales, les pluies de mars 2022, (107 mm à la station de Perpignan), plutôt régulières, ayant entrainé très peu de ruissellement, ont permis un bon déroulement du cycle végétatif, sans stress jusqu’après la floraison.
Les températures élevées ont favorisé un développement de la vigne très rapide jusqu’à la floraison. En effet, malgré un débourrement plus tardif que la moyenne (4 jours par rapport à la moyenne des 20 dernières années. Source CA66), la floraison est survenue avec 9 jours d’avance par rapport à la moyenne des 20 dernières années. (Source CA66)
Par la suite, le rationnement hydrique sévère a ralenti la poursuite du cycle de la vigne, de la floraison à la véraison.

Une règlementation sur l’irrigation en cours d’évolution : un premier pas

Comme nous l’avions mis en évidence, il y a une dizaine d’années, des apports d’eau raisonnés pendant la maturation (pilotage avec une chambre à pression) contribuent, en situation de stress hydrique sévère à une meilleure maturation des polyphénols de la baie (suivi des indices de Glories).
On ne peut que se réjouir de la possibilité qui serait offerte aux vignerons dès 2023, de pouvoir irriguer leurs vignes après le 15 août.
Il reste à espérer que les démarches nécessaires pour donner aux vignerons la possibilité d’irriguer les vignes AOP entre le 1er mai et la véraison (15 août) soient allégées.

Des dégâts sur grappes rarement observés à aussi grande échelle

Si l’échaudage des baies de Muscat d’Alexandrie est un phénomène connu des vignerons du Roussillon, les dégâts observés cette année dépassent largement le cas de ce seul cépage avec des dessèchements complets de grappes essentiellement exposées face ouest, au soleil de l’après-midi.
Ce phénomène encore rare, lié à la répétition de températures extrêmes, mais déjà observé lors de l’épisode de canicule du 28 juin 2019 où dans certains secteurs, les températures avaient dépassé les 42°C, a surtout impacté les vignes peu vigoureuses avec une exposition plus importante des grappes au soleil.

La gestion des maturations : un exercice d’équilibriste

Conséquences de cette climatologie, le démarrage des vendanges des Muscats à petits grains est survenu, dès les premiers jours d’août sur le secteur du Rivesaltais, lié à des phénomènes de concentration, le poids des baies diminuant parfois de façon brutale.
Sur ces raisins, l’équilibre entre sucre et acidité détermine le choix de la date de récolte (maturité technologique). Etant donné la fulgurance des évolutions, les objectifs en termes d’équilibre entre sucres et acidité ont souvent été dépassés. L’obtention de la fameuse maturité phénolique, caractérisant la maturité de la pellicule et des pépins fut quant à elle, beaucoup plus longue à être atteinte, mettant les nerfs des vignerons à rude épreuve.
Ces conditions climatiques extrêmes du millésime 2022 devant devenir la norme, il conviendra désormais de gérer les maturations de façon encore plus différenciée selon les profils de vin à élaborer.

Une forte mobilisation des réserves de la plante

Rappel : il est admis :

-L’antagonisme dans l’absorption par le système racinaire entre potassium et magnésium,

-De faibles précipitations suffisent à l’absorption du potassium en sol non cultivé, en période de maturation, par le système racinaire superficiel. Or nous avons noté lors des suivis de maturation 2022, des teneurs en potassium dans les moûts, supérieures à celles enregistrées en 2021.
Un autre mécanisme physiologique intervient ici, assez nouveau, celui de la mise à disposition par la plante, d’une partie de ses réserves, pour mieux structurer les pellicules des baies et les rendre plus résistantes au stress hydrique et à la canicule.


Un parfait état sanitaire tout au long des vendanges

La sècheresse persistante associée aux températures caniculaires a contribué au maintien d’un excellent état sanitaire jusqu’aux derniers jours des vendanges.
Les précipitations du 23 septembre surtout localisées en plaine (37,9mm à Perpignan contre quelques millimètres sur Maury), n’ont pas affecté l’intégrité des baies des terroirs tardifs de la Vallée de l’Agly où la maturité des baies n’était pas encore atteinte.

Pour une bonne maîtrise des fermentations alcooliques

Des teneurs en sucres élevées, des acidités particulièrement basses, peu d’azote assimilable, tel était de façon générale, le profil des moûts de ce millésime.
Le choix de souches de levures adaptées, accompagné des bons ajouts d’activateurs ont été les conditions nécessaires à l’achèvement de fermentations alcooliques de moûts à 16-17° d’alcool potentiel.

Une règlementation sur l’acidification inadaptée

Le règlement UE n°2021/2117 modifie les dispositions du règlement UE 1308/2013 (OCM). Désormais, l’acidification et la désacidification sont possibles partout, dans les limites fixées par l’annexe VIII. Partie I, C. du règlement UE 1308/2013. Il n’y a donc plus lieu de solliciter une autorisation « dérogatoire » et ce, dès la récolte 2022. Selon ce texte, l’acidification est autorisée sur tous les produits (du raisin au vin) dans la limite maximale de 4 g/l, exprimé en acide tartrique.
Les produits autorisés sont notamment l’acide L(+) tartrique d’origine agricole.
La pratique doit être réalisée dans l’entreprise de vinification :

-Sur raisins frais, moût de raisins, moût de raisins partiellement fermenté, vin nouveau encore en fermentation dans la limite maximale de 150 g/hl exprimée en AT avant le 1er janvier suivant la récolte, en une seule fois.

-Sur vin fini dans la limite maximale de 250 g/hl exprimée en AT toute l’année.

Pourquoi ne pas autoriser tout simplement la pratique de l’acidification dans la limite de 400g/hl, sans distinction du stade de l’élaboration, avec possibilité de fractionnement, les prix atteints par l’acide tartrique n’incitant guère au gaspillage.

La Digital PCR : un outil très efficace de détection de Brettanomycès dès la baie de raisin

Premier laboratoire d’œnologie français équipé de Digital PCR, nous avons mis en place un travail original, sur un vignoble regroupé, de suivi des populations pendant la phase de maturation et post récolte.

Evolution des populations de Brettanomycès Bruxellensis sur baies.

Les vendanges de ces parcelles sont survenues le 30 et le 31 août pour le Grenache noir, le 20 septembre sur la Syrah et le 30 septembre sur le Mourvèdre.

Les suivis se sont poursuivis sur des ceps non vendangés.

Contrairement à certaines idées reçues, Brettanomycès bruxellensis est bien présente sur baies.

Les populations progressent, de façon différenciée suivant les parcelles et/ou les cépages, à partir du 27 septembre. Les niveaux atteints sur Grenache noir et Syrah sont élevés et approchent les 1,0 E+4 unités par millilitre. Les pluies du 23 septembre en sont peut-être la cause. Il conviendra de vérifier en 2023 les corrélations entre pluies et développement de Brettanomycès bruxellensis.

Aucune note phénolée n’est apparue sur le vin rosé ou les vins rouges.

Brettanomycès bruxellensis : « apprendre à vivre avec »

Niveau de contamination et cépage

Les niveaux de contamination très élevés (>1,0 E+05) unités/mL) sur Carignan le 13 octobre ont nécessité, avant l’apparition de notes phénolées, une intervention rapide.

Les niveaux de contamination sur Syrah au 19 octobre sont plus faibles. Seule le cuve 7 a fait l’objet d’une intervention spécifique, le niveau des contaminations étant en hausse au 2 octobre.

Ces premiers résultats confirment des hypothèses issues de retour d’expérience :

-Brettanomycès est présent dès la baie de raisin,

-Les conditions d’humidité semblent contribuer à son développement au vignoble,

D’autres hypothèses devront être confirmées en 2023 :

-Certains cépages comme le Carignan et à un niveau moindre la Syrah sont plus impacts que le grenache noir par exemple.

-Certaines techniques de macération, comme les macérations pré-fermentaires à froid favorisent le développement de Brettanomycès.

Le millésime 2022 aura permis l’établissement de corrélations entre le nombre d’unités de Brettanomycès et la nécessité d’intervenir pour prévenir l’apparition des notes phénolées.

L’apport de la microscopie à épifluorescence

Autre acquisition de SYNERGIE LAB pour ce millésime, cette technologie nous a permis de juger de la vitalité de levains pour assurer les fins de fermentations alcooliques ou le bon déroulement des fermentations malo-lactiques.

En effet, seuls les germes vivants sont pris en compte avec possibilité de dénombrements.

Vue du champ du microscope avec possibilité de dénombrement des bactéries lactiques et acétiques vivantes

Sur la qualité des vins

Pleins de bonnes surprises sont les résultats sur les blancs et rosés. Malgré des moûts très oxydatifs, la mise en oeuvre précise des protocoles de vinification a permis de proposer des cuvées aux robes pâles, pour certaines particulièrement aromatiques.

La réfrigération des raisins et la stabulation à froid associées à la mise en oeuvre de levures non saccharomycès ont contribué à l’augmentation du volume en bouche et de l’intensité aromatique de bon nombre de cuvées.

Le maintien de l’état sanitaire, la patience des vignerons ont permis l’atteinte de la fameuse maturité phénolique, condition nécessaire à l’élaboration de vins rouges aux arômes de fruits murs, pleins en bouche, aux tanins enrobés. D’ailleurs le négoce ne s’y trompe pas, qui tente de profiter de belles opportunités en Roussillon.

Une plante à la résistance extraordinaire

En dépit de la quasi absence de pluie de mai à novembre et de températures caniculaires, la récolte au plan départemental approchera le volume de celui de 2021.

La sécheresse persistante ayant empêché l’apparition du mildiou mosaïque, associée à l’absence de gelées automnales, le feuillage s’est maintenu longtemps dans l’arrière-saison. En dépit de tous ces aléas la taille des premières parcelles fait apparaître des sarments de jolis diamètres.

Les enseignements de ce millésime

« Celui qui veut tirer des enseignements de ses erreurs doit chaque jour apprendre à surmonter ses craintes » Ralph Waldo Emerson philosophe, essayiste, poète américain.

Au-delà des interrogations posées plus haut sur l’irrigation et l’acidification

-Repenser l’agencement du feuillage : les formes à port retombant, sous conditions de faibles risque phytosanitaire, contribuent à la protection des grappes en limitant l’insolation excessive des après-midis. Elles ont présenté un réel avantage par rapport aux formes palissées à port vertical.

-Trouver un juste équilibre entre surface foliaire suffisante pour assurer la maturation de la baie et réduction de la surface foliaire pour limiter l’évapotranspiration.

-Favoriser l’alimentation des plantes en privilégiant la voir foliaire.

Au plus long terme

Les vieilles vignes de Carignan et de Grenache noir, avec des densités souvent inférieures à 3000 ceps à l’hectare, ont surpris par leur remarquable résistance à la sécheresse et à la canicule : beau feuillage encore fonctionnel à la fin septembre, baies peu atteintes de flétrissement ou dessèchement.

Les écartements entre ceps, dans tous les vignobles du monde soumis à une forte contrainte hydrique, sont élevés avec des conduites en gobelets bas et des peuplements de 2000 à 2500 ceps à l’hectare. les cahiers des charges de nos AOP et autres IGP sont-ils adaptés à cette nouvelle donne ?

L’eau devenant de plus en plus rare et un facteur limitant dans la production, il convient également d’augmenter la capacité de stockage en eau des sols par des apports de matière organique ou encore par des couverts végétaux temporaires de l’automne au début du printemps.